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Nuits d’hiver

mercredi 28 septembre 2011, par luciole

Un poème de Victor Hugo.

Comme la nuit tombe vite !

Le jour, en cette saison,

Comme un voleur prend la fuite,

S’évade sous l’horizon.

.

Il semble, ô soleil de Rome,

De l’Inde et du Parthénon,

Que, quand la nuit vient de l’homme

Visiter le cabanon,

.

Tu ne veux pas qu’on te voie,

Et que tu crains d’être pris

En flagrant délit de joie

Par la geôlière au front gris.

.

Pour les heureux en démence

L’âpre hiver n’a point d’effroi,

Mais il jette un crêpe immense

Sur celui qui, comme moi,

.

Rêveur, saignant, inflexible,

Souffrant d’un stoïque ennui,

Sentant la bouche invisible

Et sombre souffler sur lui,

.

Montant des effets aux causes,

Seul, étranger en tout lieu,

Réfugié dans les choses

Où l’on sent palpiter Dieu,

.

De tous les biens qu’un jour fane

Et dont rit le sage amer,

N’ayant plus qu’une cabane

Au bord de la grande mer,

.

Songe, assis dans l’embrasure,

Se console en s’abîmant,

Et, pensif, à sa masure

Ajoute le firmament !

.

Pour cet homme en sa chaumière,

C’est une amère douleur

Que l’adieu de la lumière

Et le départ de la fleur.

.

C’est un chagrin quand, moroses,

Les rayons dans les vallons

S’éclipsent, et quand les roses

Disent : Nous nous en allons !

.

Oh ! Reviens ! printemps ! fanfare

Des parfums et des couleurs !

Toute la plaine s’effare

Dans une émeute de fleurs.

.

La prairie est une fête ;

L’âme aspire l’air, le jour,

L’aube, et sent qu’elle en est faite ;

L’azur se mêle à l’amour.

.

On croit voir, tant avril dore

Tout de son reflet riant,

Éclore au rosier l’aurore

Et la rose à l’orient.

.

Comme ces aubes de flamme

Chassent les soucis boudeurs !

On sent s’ouvrir dans son âme

De charmantes profondeurs.

.

On se retrouve heureux, jeune,

Et, plein d’ombre et de matin,

On rit de l’hiver, ce jeûne,

Avec l’été, ce festin.

.

Oh ! mon coeur loin de ces grèves

Fuit et se plonge, insensé,

Dans tout ce gouffre de rêves

Que nous nommons le passé !

.

Je revois mil huit cent douze,

Mes frères petits, le bois,

Le puisard et la pelouse,

Et tout le bleu d’autrefois.

.

Enfance ! Madrid ! campagne

Où mon père nous quitta !

Et dans le soleil, l’Espagne !

Toi dans l’ombre, Pepita !

.

Moi, huit ans, elle le double ;

En m’appelant son mari,

Elle m’emplissait de trouble… -

O rameaux de mai fleuri !

.

Elle aimait un capitaine ;

J’ai compris plus tard pourquoi,

Tout en l’aimant, la hautaine

N’était douce que pour moi.

.

Elle attisait son martyre

Avec moi, pour l’embraser,

Lui refusait un sourire

Et me donnait un baiser.

.

L’innocente, en sa paresse,

Se livrant sans se faner,

Me donnait cette caresse

Afin de ne rien donner.

.

Et ce baiser économe,

Qui me semblait généreux,

Rendait jaloux le jeune homme,

Et me rendait amoureux.

.

Il partait, la main crispée ;

Et, me sentant un rival,

Je méditais une épée

Et je rêvais un cheval.

.

Ainsi, du bout de son aile

Touchant mon coeur nouveau-né,

Gaie, ayant dans sa prunelle

Un doux regard étonné,

.

Sans savoir qu’elle était femme,

Et riant de m’épouser,

Cet ange allumait mon âme

Dans l’ombre avec un baiser.

.

Mal ou bien, épine ou rose,

A tout âge, sages, fous,

Nous apprenons quelque chose

D’un enfant plus vieux que nous.

.

Un jour la pauvre petite

S’endormit sous le gazon… -

Comme la nuit tombe vite

Sur notre sombre horizon !

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